beaucoup. Puis il demande «quelle était la question?» Et le voilà parti. Il vanne comme on tacle, anticipe les reparties, tire à contrepet, «vite et bien», prend de volée les mots, dégage d’un «je plaisante». Ou démarre par l’apostrophe «Et vous?» qui laisse l’autre sans voix. L’attaque le fait se découvrir, comme un défenseur qui remonterait le terrain. Pourtant, il préfère les rebonds. Jouer avec les mots, «c’est ce qu'[il] aime le plus au monde». Ne se privant pas de corriger alentour les «malgré que», «un espèce» ou «par contre», il appelle en cas de doute sa mère, professeur de français en retraite. Du style à en remettre une louche, il dira «scénarii» plutôt que «scénarios». Et il se plante sur le sens de Nagui. «Qui tire sa force de la chaleur», affirme-t-il. En fait, ce prénom signifie «sauvé, protégé» en arabe. Une langue qu’il ne connaît pas, bien qu’il soit né à Alexandrie d’un père égyptien.
Et Tam Air? C’est une de ses sociétés, spécialisée dans les effets spéciaux, qui vient de rejoindre la galaxie formée par Base Records (label de disques), Vision’ Air (agence de communication qui a lancé la Mégane) et bien sûr Air Productions (émissions de télé). S’il souffle de l’aérien partout, c’est par référence à «on air», l’inscription lumineuse à l’entrée des studios signifiant «à l’antenne». Et aussi pour une histoire de vent. A 16 ans, Nagui dit à son frère: «J’ai envie de monter un parc d’attractions, de vendre du vent. Les gens paient, ils repartent, ils n’ont rien, je trouve ça génial.»
Aujourd’hui, patron de PME, il emploie quarante salariés et gagne «environ» 200 000 F par mois. Il ne délègue rien, se mêle de tout, des bons de commande, d’une tache sur le mobilier en chêne clair ou d’une virgule dans un quizz.
Celui qui a séché Daniel Schneidermann («vous êtes très fort», s’est résolu à lui répondre le journaliste à Arrêt sur images après que Nagui eut décrypté le dispositif de l’émission) séduit Bernard Cerquiglini, directeur de l’Institut national de la langue française. Ensemble, ils planchent sur un jeu de mots annoncé pour la fin du trimestre sur TF1, la chaîne qui, dit-il, brandit «la quéquette de sens».
Le chercheur rital et l’animateur arabe se réjouissent d’avance d’oeuvrer pour le français. Le premier vient de faire découvrir au second la définition d’«enculage de mouches» dans le nouveau dictionnaire de l’Académie: «Ce sont des arguties portant sur des vétilles.» Nagui se marre à l’idée de la gamberge académicienne, comme il se régale des concupiscents, concubins et autres confluents du sketch de Valérie Lemercier.
Préférant avoir le premier comme le dernier mot, «jamais il ne dit: t’as raison», raconte le réalisateur Claude Hemmer qui le côtoie depuis presque dix ans à RTL. «Mais, ajoute-t-il, le lendemain, il appliquera le conseil.» En loucedé. A chacun sa fierté. «Je me sens bien quand je me distingue d’une masse. Attention, je ne dis pas de la masse, livre l’intéressé. Dans un groupe, je préfère être capitaine ou gardien de but.» Et donc plutôt seul, sans autre butoir que lui-même. «Il lui manque un producteur», diagnostiquent la plupart des professionnels. «Il est un photocopieur, pas un inventeur», précise l’un de ses confrères, estimant que les émissions de Nagui ne font que reproduire des concepts ayant fait leurs preuves ailleurs. Les mêmes lui reconnaissent un vrai talent d’animateur. Histrion espiègle ou petit coq macho, Nagui fait du business. S’il n’est pas un enfant de choeur, il assure n’être «pas un killer non plus». «Je n’ai jamais eu honte de dire que j’avais envie de gagner de l’argent.» Enfant, il lorgne sur la villa de copains avec piscine et salle de jeux, lui qui, fils de «simples fonctionnaires», partage sa chambre avec son frère. «Je ne me suis pas dit: quoi faire pour gagner beaucoup d’argent? Mais je me suis demandé: qu’est-ce que je veux faire? De quoi ai-je envie? Puis: comment être le meilleur? De là viendra l’argent.» Une manière d’appliquer les préceptes de son père, professeur de littérature comparée à la Sorbonne: «Si tu veux être ministre, sois Premier ministre.» Ainsi, il vient de s’acheter, à crédit, une villa de 9 millions à Saint-Tropez, à une demi-heure de chez sa mère. Cet été, invité dans une émission d’Ardisson, il y claironnait que sa piscine avait été payée grâce au service public. «C’était de l’humour», corrige-t-il. Ah. «Oui, j’ai gagné de l’argent, mais je ne l’ai pas volé, il se voyait à l’antenne», s’exclame-t-il.
Après l’affaire des contrats mirobolants des animateurs-producteurs, à l’issue d’un an et demi d’inspections diverses et fiscales, il assure «être ressorti clean». L’épisode est derrière. «Depuis quatre ans, je vis un rêve éveillé», répète-t-il. Il a tout: une émission quotidienne sur RTL, «la première radio, avec l’émission la plus écoutée», et un jeu sur «la première chaîne, à l’heure de l’access» (l’horaire stratégique de l’avant-soirée, ndlr). Le matin, voix de crooner, il est l’hôte courtois qui dit «ma douce» aux auditrices. Le soir, il est GO au Club Tel, genou en terre et veste criarde pour appâter les téléspectateurs fatigués. «A 10 ans, je regardais Drucker à la télé, en disant « j’y serai. Plus que de faire de la télé, je voulais côtoyer des gens connus.» Celui qui aujourd’hui dit ressembler à «George Clooney après un accident de voiture» n’était guère à l’aise dans ses pompes adolescentes: «Pas beau pas grand, pas blond.» Du coup, dans les boums il faisait tapisserie, côté platines. Disc-jockey faute de mieux. De là, il tâte de la radio, pirate puis libre. Il trappe alors Fam, son nom de famille, «pour ne pas gêner ses parents». Il admet avoir morflé avec ce patronyme et avoir dû jouer des poings. Aujourd’hui, afin de court-circuiter un plagieur, Nagui est devenu une marque déposée à l’Institut national de la propriété industrielle. Si l’animateur a refusé comme titre d’émission «Tant qu’il y aura Nagui» («trop puant, prétentieux»), le même accepte d’être décliné en «naguettes», («tellement ridicule que ça m’a fait rire»). A la suite d’un autre Egyptien, Cloclo et ses «claudettes». Et avant les «gafettes» de l’animateur Lagaf’, qu’il remplace depuis la rentrée avec Tous en jeu. Dès la fin de la première semaine d’antenne, la rumeur disait l’émission «carbonisée» car en deçà des audiences escomptées par TF1. Nagui résiste sans trop y croire. «Tous les jours, je m’attends à un coup de fil, puis à un fax, enfin une lettre recommandée.» L’an dernier, il a expérimenté la procédure d’éviction avec l’arrêt inopiné de l’Appel de la couette. S’ensuivit une série de flops: non-reconduction de Vous ne rêvez pas; flingage par Mathieu Kassovitz dans le film Assassins, où l’animateur apparaît comme l’archétype de la daube télévisuelle; bide du film d’Ariel Zeitoun dans lequel il tient le premier rôle. Année noire » «Année de transition, nuance-t-il, car c’est aussi l’année de la naissance de ma fille.» Mais c’est l’arrêt de Taratata, faute d’audience, qui l’a vraiment «blessé». Cette émission-là, il l’avait inventée avec le réalisateur Gérard Pullicino, son alter ego. «C’est l’ami de ma vie», dit Nagui qui en a fait le parrain de sa fille. «C’est le frère que je n’ai pas eu», dit l’autre. Fusionnel, le duo ne fait qu’un. Sur les génériques, Nagui goupille, Pullicino dégoupille. Lui a shunté son prénom. Dans le bureau de Nagui, les murs gardent l’empreinte de l’émission défunte: disque d’or des duos, un bout du décor récupéré avant qu’il soit brûlé et un mot du chanteur Sting: «Please, invite me again.» A l’arrêt de l’émission, Nagui a sangloté. Ce n’était pas du vent. photo PATRICK ZWIRC Nagui en 8 dates 14 novembre 1961 Naissance à Alexandrie (Egypte). 1965 La famille arrive à Aix-en-Provence.
Juillet 1978 Devient disc-jockey sur Radio Vintimille Internationale.
Octobre 1987 Fait ses débuts d’animateur à M6 dans «Clip Dédicace».
Février 1988 Entre à RTL pour la tranche du soir.
Février 1991 Commence à animer «Que le meilleur gagne», sur la Cinq.
10 janvier 1993 Devient animateur-producteur pour «Taratata». 16 juin 1997 «Taratata» est arrêté.